Design
2007
Marielle Debethune
19h42… Exactement 12 minutes avant de quitter Marseille… un flottement dans le hall, un incessant lancer de fusées humaines et me voilà « côté fenêtre », n°134. Le 6107 me déposera à Barcelone dans quelques heures. Déjà la perspective d’une instabilité prolongée me rend nerveuse. Un petit animal vient se loger dans ma cage thoracique. Ses caractéristiques physiques (taille, poids, énergie, sensibilité) évoluent en fonction de variables que je ne maîtrise pas. Aujourd’hui les variables ont l’air de jouer en ma faveur. Le petit animal est sage.
Le projectionniste met alors la machine en route. Dans un cliquetis caractéristique la bobine se déroule, ceci dans une horizontalité peu commune, mais plaisante. Les fenêtres deviennent des écrans alignés qui diffusent des images d’espaces réels. Toutefois le développement du film semble être malléable, en tout cas il n’a rien à voir avec la dernière version que j’ai pu voir.
Dans la salle, les spectateurs ne sont pas tous attentifs ; certains sont bruyants. Je navigue malgré tout dans l’image… entre un agréable état de suspension et une répulsion due à la trop grande linéarité de la narration. Des bribes de souvenirs s’entrechoquent et me reviennent en mémoire…
Une certaine forme de contemplation… qui à ce moment précis ne se rattache à aucun qualificatif, aucune situation précise… Je finis donc par me laisser envahir par la sensation d’effacement que procurent toutes les salles obscures. Ce moment où la nuit fait perdre la conscience de soi et permet d’échapper pour un temps à cette enveloppe charnelle devenue inactive et groggy. Pendant un temps je ne suis plus, je n’ai plus de nom, mes origines sont déjà loin et ma destination échangeable à tout moment…
Pourtant, bientôt, une annonce célibataire me rappellera que toute fiction a une fin, et les lumières se rallumeront… Et mon identité me reviendra plus certaine que jamais… Mon statut est désormais celui de l’étranger et le plus grand racisme se passe dans ma tête… À moi de partager ce que je peux donner, non pas ce qu’on me demande… À moi de m’approprier ce nouveau lieu, de m’impliquer, à moi de cultiver ma curiosité au-delà des clichés de Barcelone… À moi de me reposer la question une fois la quotidienneté installée. La ville est là, à mon entière disposition…
(Texte extrait du catalogue des diplômés de 2007)