Art
2016
Karine Santi Weil
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Beat poetry
Réfléchissant particulièrement à la productivité du terme beat, ce qui « martèle le temps dans la techno », à travers un langage plastique lui-même inscrit dans l’histoire la Beat generation, la production de Carine Santi-Weil exploite la polysémie des mots. À l’aune de cette collusion d’autant plus emblématique qu’elle nous renseigne sur l’éthos d’une oeuvre protéiforme à laquelle les modalités de l’écriture donnent cependant sa continuité, l’oeuvre impose sa propre logique : la contamination des schémas du haut modernisme et du rationalisme par les cultures alternatives, musicales de préférence, punk, rock et techno. C’est pourtant bien au-delà de la correspondance synesthésique et de l’iconographie musicale, qu’opère la musique : au coeur de l’activation poïétique. De même qu’elle rapproche le commencement de l’oeuvre
du kick off, coup de départ en musicologie rave, dans son travail constitué d’affiches lettristes, l’artiste puise au sein de la matière vive suspendue entre écoute, création, écriture musicale. Entre création et réflexion sur les conditions de la création (l’artiste écrit sur ses expériences d’auditrice et de praticienne de la musique), l’espace plastique devient un jeu de chaises, musicales forcément, dont le sens réside dans la réactivation des échanges entre les arts. Les ritournelles de la musique fécondent la forme plastique, à partir de ses mots, tirés de lyrics, étirés, agrandis, savourés, reenactés dans une calligraphie identifiable, et qui refuse de faire sens, avant de fuguer, vers un troisième médium, aux confins de la démonétisation de la langue et de la plasticité lettriste : la poésie.
Ces oeuvres, qui ne sont pas dénuées d’un certain romantisme beat, et qui finies, aspirent à l’infini pour rendre à leur auteur une corporéité idéale, « céleste, transparent[e] et dansant[e](1) », celle de l’expérience des limites, activent l’usage de la répétition comme une machine de guerre. Car insister, boucler, répéter (2), c’est prendre la tangente, fût-ce momentanément, au regard du temps du monde capitaliste, du temps productif, c’est échapper au temps qui s’écoule inexorablement pour en faire advenir un autre, absolument différent, ce temps que permet la prise et que Burroughs appelle de ses voeux : le « temps blanc (3) ».
Par Marine Schütz, Enseignante et docteure en histoire de l’art (juillet 2016)
1 Propos de Carine Santi-Weil, in Insister, boucler, répéter, mémoire de DNSEP, Marseille, 2016, n.p.
2 Titre du mémoire de DNSEP de Carine Santi-Weil.
3 William Burroughs cité dans Carine Santi-Weil, Insister, boucler, répéter, mémoire de DNSEP, Marseille, 2016, n.p.