Art
2011
Ja U-Nyeong (Kim Hyun Sook)
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J’aime la vision singulière des paysans qui arrivent en ville après avoir quitté leur campagne. Cette vision me semble à la fois étrange et émouvante. Le temps des migrations provoqué par la mondialisation conduit les migrants à rechercher toutes les autres opportunités de vies possibles. Ils se déportent de la campagne vers la ville. Ils traversent bien souvent des frontières pour aller tenter leur chance dans les villes d’autres pays. La ville a besoin d’eux, de les utiliser, mais elle a besoin d’eux pour un temps limité seulement. Un jour vient où ils doivent partir,. Cela ne leur laisse pas de place pour s’installer durablement en ville. Mes travaux portent sur l’itinéraire de travailleurs immigrés, sur l’histoire d’habitants de la périphérie, chassés par l’urbanisation. Et aussi sur les traces effacées de vie perdues en raison d’un développement urbain.
Mon premier voyage à Shanghai était au départ motivé par l’intention de filmer une chinoise d’origine coréenne qui vivait en Chine avant d’immigrer en Corée. Dès mon arrivée, j’ai vu les vieilles maisons en train d’être démolies alors j’ai décidé de filmer immédiatement pour garder leur souvenir, le conserver d’abord dans mon cœur puis de les mettre en œuvre pour en témoigner. J’ai tourné en plan fixe, des séquences sans aucune action ni mouvement de la caméra étrangers à ce qui avait lieu, sans intention esthétisante préalable. Ces images sont devenues par la suite une sorte de « long shot ».
Cet acte me fait penser à quelque chose de l’ordre de l’archéologie plus que de l’archive. L’archéologie examine les traces du passé, elle déterre des souvenirs laissés dans les ruines, effacés ou recouverts par le développement historique de la civilisation. Mais comment déterrer des vestiges de la psychologie individuelle ? Pour reconstituer le lieu exacte de ma propre histoire, je ne peux m’appuyer que sur ma propre mémoire. Et j’ai le sentiment qu’il n’y a aucun retour possible, parce que le lieu de mes souvenirs a disparu lorsque mon pays natal se modernisait. A la manière d’un cinéma du souvenir [le paradis du cinéma], il ne vit plus que dans mon image mentale, sans lieu physique pour réel appui. C’est cette réalité que l’expérience de mémoire a perdu. Quand je suis confrontée à la démolition d’une maison traditionnelle en Chine, cette scène me rend malade de nostalgie… c’est chaque fois un peu ma mémoire qui est détruite brutalement, peut-être à jamais.
(Texte extrait du catalogue des diplômés de 2011)