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  • 2017

ESTHER ISIDORE

On fait un bilan des kilos qu’il reste à ramasser, des victuailles qu’il reste à partager et enfin, on parle du temps. Nous avons jusqu’au matin pour être ensemble. Nous encerclons le feu, les assiettes se servent, les godets se remplissent, et chacun a des idées à raconter à l’infini. Souvent l’un de nous — poète évidemment — titube et déclame fort ses vers le verre brandi vers les étoiles. Les flammes très proches noircissent nos visages et finissent par assouplir nos colonnes courbées.
Je regarde dans un silence soudain mes amis en ronde et leurs sourires troués sont les miroirs de cette nuit noire. Le temps d’une respiration, d’un très bref rire, d’une syllabe bafouillée, tous, nous avons noyé nos pupilles dans les abîmes du foyer. Et puis ça repart de plus belle, ça n’a presque pas existé alors que chacun le temps d’une inspiration s’est vu naître et mourir. On se regarde, on fouille le fond de l’oeil de l’autre comme celui qui trépasse cherche dans l’agonie le réconfort de la compassion d’une âme qui lui fasse face. Nos poignes s’accrochent si fort qu’on en valdingue, on rit, on se serre dans la suie, on se resserre jusqu’au bout de la nuit. On ravive les braises rouges pour faire bouillir l’eau du café. Nos articulations craquent. Notre toux, c’est de la boue. Les oiseaux, les premiers rayons gelés qui percent, les truffes humides des copains bêtes, j’appelle et on me répond « oui oui oui, j’arrive ! », les fermetures éclair et les portes latérales glissent et le bal recommence, le bal des affreux aux lèvres noires, aux yeux pochés, aux membres tremblants, aux étreintes qui sentent le soufre et la fumée.

Extrait du récit Une journée, présenté comme mémoire au DNSEP.