Art
2016
Eléonor Chartier
Eleonor Klène restitue une possibilité de monde juste à côté du nôtre, un inframonde irradié appartenant aux débris de l’histoire récente et sis dans une géographie continentale dévastée, comme si ses vastes installations mixaient la solitude des parcs de loisirs récents mais déjà abandonnés aux lumières usées de la Guerre Froide. C’est d’abord un travail de sculpteur attentif aux qualités des matériaux où même les images sont traitées dans leur matérialité : structures pour l’aménagement d’espaces “récréatifs”, cabines de plage, pédiluves sont attenants aux coffrets lumineux où une photographie cuite et recuite finit de s’assombrir, aux panneaux pédagogiques ou signalétiques d’issues de secours et de soins d’urgence. Ces vastes installations sculpturales invitent le spectateur à un parcours dont les stations sont parfois un texte comme, par exemple, Baralela in Podestat, roman et récit de voyage où le futur immédiat à des allures de ruine. Cependant ces éléments sculpturaux, photographiques et ces pages d’un étrange voyage fondant le passé récent dans l’avenir proche ne se contentent pas d’un constat entropique, ils cherchent au contraire ce qui les sort de ce déterminisme. Eleonor Klène écrit dans la quatrième de couverture de Baralela in Podestat : « Je parie qu’on peut déceler du numineux parmi les formes les plus standardisées. Une Annonciation dans une
chambre froide, un Hortus Conclusus dans un hall d’immeuble, des traces de l’icône dans des protocoles d’hygiène ». De très anciennes survivances s’attachent à des rituels profanes.
Nous avons perdu des significations qui demeurent dans les formes et que l’artiste en quelque sorte exhume. Chacun des éléments sculpturaux et photographiques d’Eleonor Klène met en contact le sacré et le profane, non pas pour que l’un prenne le pas sur l’autre mais pour que cette ambivalence soit manifeste. Enfin, je voudrais attirer l’attention sur les qualités d’écriture de cette artiste qui, dans le cadre du livre mais aussi dans les stations écrites jalonnant ses installations, propose au lecteur-spectateur un itinéraire, une exploration, une recherche et surtout un usage amoureux d’un état du monde paraissant crépusculaire et hostile.
Frédéric Valabrègue – juillet 2016